Moonchild – Enfant lunaire – Chapitre XI

DE LA LUNE DE MIEL ET DE SES ÉVÉNEMENTS ; AVEC DIVERSES REMARQUES SUR LA MAGICK ; LE TOUT ORNÉ DE RÉFLEXIONS MORALES UTILES AUX JEUNES

LE JARDIN de la villa, arboré d’oliviers et de tamarins, d’orangers et de cyprès, était composé de multiples terrasses ; mais la plus basse de toutes, une terrasse pentue du mur de laquelle on pouvait regarder l’un des chemins qui serpentaient sur la colline, était pavée de marbre blanc. Une source émanait de la roche nue, tombait dans un bassin circulaire et arrosait la terrasse par des rainures étroites, entre les dalles. Ce jardin était consacré aux lys, et en raison de son symbolisme approprié, Cyril Grey l’avait choisi pour la scène de la dédicace de Lisa à Artémis. Il avait installé un petit autel triangulaire en argent, et c’est sur celui-ci que Sœur Clara et ses disciples vinrent trois fois par nuit faire leurs incantations. Le rituel de la Lune pouvait ne jamais être célébré pendant la journée.

Dans la soirée du lundi, après l’Adoration du Soleil couchant, Sœur Clara appela Lisa et la conduisit dans ce jardin.

Là, elle et les femmes de chambre la déshabillèrent et la lavèrent de la tête aux pieds dans les eaux de la source sacrée. Alors elle prêta un serment solennel selon lequel elle suivrait les règles du rituel, ne parlant à aucun homme excepté son élu, ne quittant pas la protection du cercle, ne communiquant pas avec le monde extérieur et non initié ; mais par contre, elle se consacrerait entièrement à l’invocation de la Lune.

Puis elle se vêtit d’un vêtement spécialement préparé et consacré. Ce n’était pas le même modèle que ceux de l’Ordre ; c’était un vêtement ample bleu pâle et argent, et les sigils secrets de la Lune avaient été astucieusement brodés sur son ourlet. Il était fin, mais volumineux, et l’effet était que la porteuse semblait être enveloppée dans une brume de lune.

En un chant langoureux et mystérieux, Sœur Clara éleva la voix, et ses acolytes l’accompagnèrent de leurs mandolines ; c’était une incantation de ferveur et de folie, la folie des choses chastes, lointaines et impénétrables. A la fin, elle prit Lisa par la main et lui donna un nouveau nom, un nom mystique, gravé sur un anneau d’argent orné d’une pierre de lune qu’elle mit à son doigt. Ce nom était Iliel. Il avait été choisi à cause de sa sympathie au nombre de la Lune ; ce nom est hébreu, dans cette langue ses caractères ont la valeur de 81, le carré de 9, le nombre sacré de la Lune. Mais d’autres considérations avaient aidé à déterminer le choix de ce nom. La lettre L en hébreu se réfère à la Balance, le signe sous lequel elle était née ; et il était entouré de deux lettres, I, pour indiquer son enveloppement dans la force de création ainsi que sa chasteté que les vieux sages avaient caché dans ce hiéroglyphe.

Le « EL » final signifiait la divinité de son nouvel être ; car c’est le mot hébreu pour Dieu, et il est communément rattaché par les sages à diverses racines, pour impliquer que ces idées ont été manifestées dans des individus de nature angélique.

Cette instruction avait été donnée à Lisa à l’avance ; maintenant qu’elle lui était cérémonieusement conférée, elle était frappée au cœur par sa grande signification. Sa passion pour Cyril Grey avait été grossière et véhémente, presque vulgaire ; il l’avait traduit en termes de faim de sainteté, d’aspiration terrible, de pureté totale. Ni Rhéa Silvia, ni Sémélé, ni aucune autre vierge mortelle n’avaient jamais brillé pour hériter d’une destinée plus glorieuse, pour ressentir une exaltation si infinie de la chasteté. Même la pensée de Cyril lui-même glissait sur elle comme une tache. Ce n’était plus qu’un mal nécessaire. A ce moment, elle aurait pu secouer les entraves de l’humanité elle-même, et rejoindre Sœur Clara dans son humeur extatique, transmise, impériale fervente dans une méditation pure et sans fantaisie. Seule la connaissance de sa tâche sublime l’avait rendue à son goût amer. Elle s’éveillait dans ces méditations par la voix de Sœur Clara.

« Oh, Iliel ! Oh, Iliel ! Oh, Iliel ! Il y a un nuage sur la mer. »

Les deux filles s’accordaient avec la musique de leurs mandolines.

« Il commence à faire sombre. J’ai peur », s’écria Sœur Clara.

Les filles tremblaient dans leur mélodie.

« Nous sommes seuls dans le bosquet sacré. Oh, Artémis, sois près de nous, protège-nous du mal ! »

« Protège-nous du mal ! », s’écrièrent en écho les deux enfants.

« Il y a une forme dans le nuage ; il y a de l’agitation dans les ténèbres ; il y a un étranger dans le bosquet sacré ! »

« Artémis ! Artémis ! Artémis ! », crièrent les filles de façon stridente, leurs instruments féroces et agités.

A ce moment, un grand cri jaillit des hommes qui attendaient sur la terrasse du dessus. C’était un cri de peur abjecte, inarticulé, sauf un seul mot « Pan ! ». Elles s’enfuirent en hurlant de tous côtés, tandis que Cyril Grey, vêtu d’un vêtement de peau de chèvre, bondit de la terrasse supérieure au milieu d’eux. A un autre moment, bondissant dans le jardin, il atteignit le parapet qui dominait la petite terrasse où les filles étaient accroupies en gémissant.

Il sauta parmi elles, Sœur Clara et ses disciples s’enfuirent en criant comme des mouettes surprises ; mais il écrasa Iliel contre sa poitrine, la jeta par-dessus son épaule et s’avança triomphalement vers la maison.

Telle était la cérémonie magique conçue par l’adepte, une commémoration ou représentation dramatique de la légende de la capture de Diane par Pan. C’est, bien sûr, de tels rites que toutes les performances dramatiques sont développées. L’idée est de s’identifier, dans la pensée par l’action, aux divinités que l’on désire invoquer.

L’idée de présenter une histoire cérémonieusement peut avoir précédé le rituel, et les Dieux ont pu être de simples sublimations de héros éponymes ou des personnifications d’idées abstraites ; mais finalement c’est à peu près la même chose. Avouez que le génie de l’homme est divin, et que la question : « Laquelle est la charrue et lequel le bœuf ? » devient aussi inutile que si on la posait à propos d’une automobile.

Le mois suivant, de la mi-novembre à la semaine précédant Noël, était une lune de miel. Mais l’appétit animal était plus rare qu’un complément accidentel ; l’amour humain de Cyril et de Lisa avait été élevé à des sommets inconcevables par la colonne vertébrale de la spiritualité et de l’amour de l’humanité qui se cache derrière ses manifestations. De plus, tout était en harmonie ; rien ne nuisit. Les amants ne se quittaient jamais même pour une heure ; ils eurent leur volonté  et leur comble d’amour, mais d’une manière et d’une intensité dont les amants classiques ne rêvent jamais. Même le sommeil était pour eux mais comme un voile de plusieurs couleurs jeté sur leur ravissement ; dans leurs rêves, ils se poursuivaient encore, et s’atteignaient, sous des cieux plus bleus, sur des mers qui riaient plus mélodieusement que celle qui les séparait de Capri, à travers des jardins rayonnants de bonheur et des voies qui menaient aux palaces de l’Empyrée.

Pendant quatre semaines aucun mot ne vint de l’extérieur, à une exception près, quand Sœur Clara apporta un télégramme à Cyril. Il n’était pas signé, et le message était bref. « A propos du premier août » était tout son contenu. « Meilleur est le jour, meilleur est le tour ! » s’écria gaiement Cyril. Iliel l’interrogea. « C’est juste de la magick », répondit-il. Elle ne poursuivit pas sur le sujet : elle avait deviné que l’affaire ne la concernait pas, et elle regretta même cette microscopique interruption.

Mais bien qu’Iliel ait été tenue à l’écart de toute connaissance des événements extérieurs, c’était à force d’acier. La Loge Noire n’était pas restée oisive ; le Frère Onofrio, responsable de la garnison, avait été très occupé. Mais ses manœuvres avaient été couronnées de succès : l’ennemi n’avait même pas obtenu leur première revendication, un lien matériel avec la Fraternité.

C’est une loi de la magick que les causes et les effets se trouvent sur le même plan. Vous pouvez peut-être envoyer un fantôme pour effrayer quelqu’un que vous n’aimez pas, mais vous ne devez pas vous attendre à ce que le fantôme utilise un bâton ou vole un mouchoir. En outre, la majorité de la magick pratique commence sur le plan matériel et continue à créer des images sur d’autres plans. Ainsi, pour évoquer un esprit, vous obtenez d’abord les objets nécessaires à sa manifestation et vous créez des formes plus subtiles de la même nature.

Le Filet à Papillon avait été travaillé exactement sur les mêmes lignes. La morale n’entre pas plus dans la magick que dans l’art ou la science. Ce n’est que lorsque les effets affectent la nature morale de l’homme que cette question se pose. La Vénus de Médicis n’est ni bonne ni mauvaise ; c’est simplement beau ; mais sa conséquence sur l’esprit d’un Antony Comstock ou d’un Harry Thaw peut être désastreuse, en raison de la nature de leurs esprits. On peut régler les détails d’un meurtre au téléphone ; mais on ne devrait pas blâmer le téléphone.

Les lois de la magick sont étroitement liées à celles des autres sciences physiques. Il y a environ un siècle, les hommes ignoraient une douzaine de propriétés importantes de la matière : la conductivité thermique, la résistance électrique, l’opacité aux rayons X, la réaction spectroscopique, et d’autres encore plus occultes. La magick concerne principalement certaines forces physiques encore méconnues du vulgaire ; mais ces forces sont tout aussi réelles, aussi matérielles – si on peut les nommer ainsi, car toutes les choses sont finalement spirituelles – comme des propriétés comme la radioactivité, le poids et la dureté. La difficulté à les définir et à les mesurer réside principalement dans la subtilité de leur relation à la vie. Le protoplasme vivant est identique au protoplasme mort dans tout excepté la vie. La Messe est une cérémonie magique exécutée dans le but de doter une substance matérielle de la vertu divine, mais il n’y a pas de différence matérielle entre l’ostie consacrée et celle qui ne l’est pas. Pourtant, il y a une différence énorme dans la réaction morale du communiant. Reconnaissant que son sacrement principal n’est qu’une des innombrables expériences possibles de la magie talismanique, l’Église n’a jamais nié la réalité de cet art, mais a traité ses représentants comme des rivaux. Elle n’ose pas couper la branche sur laquelle elle est assise.

D’autre part, le sceptique, trouvant impossible de nier les effets de la communion cérémonielle, est obligé de renvoyer la cause à la « foi » ; et se moque que la Foi soit le vrai miracle. Sur quoi l’Église agrée en souriant ; mais le magicien, tenant l’équilibre entre les adversaires, et insistant sur l’unité de la Nature, affirme que toute la force est une à l’origine. Il croit au « miracle », mais maintient que c’est exactement le même genre de miracle que de charger une bouteille de Leyde avec de l’électricité. Vous devez utiliser un indicateur moral pour tester l’un, un indicateur électrique pour tester l’autre, la balance et le tube à essai ne révéleront pas le changement dans l’un ou l’autre.

La Loge Noire savait assez bien que le maillon faible du Filet à Papillon était l’esprit inexpérimenté de Lisa. Sa flamme d’enthousiasme brûlante, irradiant d’amour passionné, était trop active pour attaquer directement, même s’ils avaient pu réussir à communiquer avec elle.

Ils se contentaient de regarder et d’attendre la réaction, si elle venait, car ils savaient que cela arriverait finalement. Éros trouve toujours Antéros sur ses talons, tôt ou tard, il sera supplanté, à moins qu’il n’ait l’esprit pour nourrir son feu avec le carburant de l’Amitié. En attendant, c’était la meilleure chance de travailler sur l’esprit à travers le corps. S’ils avaient pu se procurer une goutte du sang d’Iliel, elle aurait pu être une proie aussi facile que l’infortuné conducteur du Rome-Express.

Mais Sœur Clara veillait à ce que pas la moindre rognure d’ongle d’Iliel n’échappât à une destruction magique minutieuse, et le Frère Onofrio organisa une patrouille nocturne du jardin, afin qu’aucune violation physique du cercle ne soit faite.

L’homme en charge de la mission de la Loge Noire se nommait Arthwait, un homme pédant, terne et idiot sans imagination ni réelle perception magique. Comme la plupart des magiciens noirs, il a s’adonnait à la boisson, et sa capacité à infliger des dommages aux autres était limitée par sa vanité démesurée. Il détestait Cyril Grey plus qu’il détestait quiconque, parce que ses livres avaient été passés en revue sous sa tension la plus amèrement ironique par cet esprit brillant, dans la Table d’Émeraude, la célèbre revue littéraire éditée par Jack Flynn ; Grey avait pris soin de signaler les erreurs élémentaires de traduction qui montraient qu’Arthwait ignorait comiquement les langues dans lesquelles il se vantait d’être érudit. Mais il n’était pas l’homme approprié pour la tâche qui lui avait été confiée par Douglas ; son penchant était toujours sur son chemin ; un homme qui se bat pour la vie est un fou s’il veut s’arrêter à tout moment pour s’admirer. Douglas l’avait choisi pour l’une des raisons curieuses et rétrogrades qui plaisent si souvent aux gens d’intelligence perverse : c’est parce qu’il était inoffensif qu’il avait été choisi pour faire du mal. Une démocratie choisit souvent ses généraux sur le même principe ; un homme capable pourrait renverser la république. Elle préfère manifestement être renversée par un ennemi capable.

Mais Douglas l’avait soutenu avec un exécutif fort.

Abdul Bey ne connaissait pas la magie et ne la connaîtrait jamais ; mais il avait une passion désespérée pour Lisa, et une haine fanatique de Grey, qu’il crédita, à la suggestion de Balloch, de la mort de son père. Il avait des ressources sociales et financières presque illimitées, il ne pouvait guère y avoir de meilleur homme pour la partie externe du travail.

Le troisième commissaire était le cerveau de l’entreprise. C’était un homme hautement qualifié dans la magie noire à sa manière. C’était un protestant irlandais maigre, cadavérique, nommé Gates, grand, avec le front du savant. Il possédait un réel talent, avec parfois un éclair de perspicacité qui le rapprochait du génie. Mais si son intelligence était vive et fine, elle était en quelque sorte confuse ; et il y avait un manque de virilité dans sa présentation. Ses cheveux étaient longs, fins et malpropres, ses dents étaient négligées, et il avait l’habitude de la saleté physique qui était si évidente qu’elle répugnait même un étranger.

Mais il n’y avait pas de mal en lui, il n’avait aucun intérêt dans la Loge Noire ; c’était juste un de ses fantasmes romantiques que de se poser en homme terriblement méchant. Pourtant, il le prit assez au sérieux, et il était prêt à servir Douglas dans n’importe quel arrangement, même atroce, qui assurerait son avancement dans la Loge. Il était seulement là à cause de la confusion. Étant donné qu‘il avait un but au-delà de la satisfaction de sa vanité, il était innocent – l’acquisition de la connaissance et du pouvoir. Il était entièrement dupe de Douglas, qui fit de lui un ingénieux cheval de Troie, car Gates avait une réputation notable dans quelques-uns des meilleurs cercles d’Angleterre.

Douglas l’avait choisi pour cette affaire de façon très rusée, car il ne haïssait ni n’appréciait ses victimes prévues, et était donc susceptible d’interpréter leurs actions sans passion ni préjugés. C’était cette interprétation que Douglas souhaitait le plus. Douglas l’avait vu personnellement – un privilège rare – avant qu’il ne parte pour Naples et lui avait expliqué ses souhaits quelque peu comme suit.

Cet imbécile d’Arthwait devrait utiliser grossièrement les méthodes classiques de l’assaut magique, en partie sur la chance d’un coup, en partie pour garder Grey occupé, et peut-être pour lui faire croire que l’attaque principale était là. Pendant ce temps, lui, Gates, devrait se consacrer, dans le calme, à deviner la vraie nature du dessein de Grey. Cette information était essentielle. Douglas savait que cela devait être quelque chose d’énorme ; que les forces que Cyril cherchait à évoquer étaient de portée cosmique. Il le savait non pas uniquement par ses propres divinations, mais le déduisait du fait de l’intervention de Simon Iff. Il savait bien que le vieux Maître n’aurait pas levé le petit doigt pour autre chose qu’une guerre mondiale. Douglas jugea donc que s’il pouvait vaincre le but de Grey, cela impliquerait son propre triomphe. De telles forces, se retournant sur celui qui les avait évoquées, le briseraient en mille éclats. Douglas, toujours affaibli de la destruction de son « observateur », était particulièrement clair sur ce point ! 

Arthwait serait nommé chef de la partie en toutes choses, et Abdul Bey était pressé de le soutenir vigoureusement de toutes les manières en son pouvoir ; mais, au besoin, Gates devait contrarier Arthwait et s’assurer l’allégeance du turc, tenu au secret, en lui montrant une carte que Douglas avait dûment remplie et remise.

Louis XV avait essayé de jouer sur deux tableaux avec ses ambassadeurs, mais Douglas n’était pas fort en histoire, et ne savait rien de comment ces expériences avaient abouti.

Il n’avait apparemment pas non plus pris à cœur les paroles de l’Évangile : « Si Satan chasse Satan, il est divisé contre lui-même ; comment donc son royaume subsistera-t-il ? »

Il se rendait encore moins compte que ce plan ingénieux lui avait été suggéré par Simon Iff lui-même ! Il en était pourtant ainsi : c’était le chef de la contre-attaque que le vieux mystique avait accepté de livrer pour le compte de Cyril Grey. Ce n’était que l’affaire d’un quart d’heure de travail, la voie du Tao est la plus facile car c’est la plus sûre.

C’est ce que « Simple Simon » avait fait. Puisque tout mouvement simple a une direction, et que son ennemi est l’inertie, l’épéiste porte son épée à un seul tranchant ; le bouclier broie la flèche jusqu’à un point précis. Votre balle dum-dum ne pénétrera pas comme une ogive blindée ; vous ne pouvez pas vous permettre d’en faire usage le premier, à moins que le pouvoir de pénétration soit si grand qu’il atteigne les points faibles avant que la balle ne se dilate et s’arrête. Ce principe mécanique est parfaitement applicable en magick. Par conséquent, quand il est s’agit de résister à une attaque magique, votre meilleure méthode sera de diviser les forces de votre adversaire.

Douglas avait déjà perdu un pion dans le jeu, le Pacha Akbar étant allé à sa destruction en mettant en place sa propre idée extérieure incompatible avec le plan de son supérieur. Le défaut est inhérent à toute la Magie Noire, parce que cet art est en lui-même une chose contre la Volonté Universelle. Si elle n’était pas négligeable, elle détruirait l’Univers, tout comme l’anarchiste jetant des bombes parviendrait à détruire la société s’il représentait, disons, un tiers de la population.

Simple Simon, à ce moment, ne savait pas que Douglas était le Général ennemi ; mais il était en contact magique le plus proche possible de lui. En effet, il avait absorbé la Chose dans le jardin et cette Chose avait fait partie de Douglas.

Alors il se mit à l’assimilation complète de cette Chose ; il fit en sorte qu’elle fasse partie de lui-même pour toujours. Sa méthode pour le faire était aussi simple que d’habitude. Il parcourut l’Univers dans son esprit et se mit à réconcilier toutes les contradictions dans une Unité supérieure. Partant de choses aussi grossières que les couleurs du spectre, qui ne sont que des parties de la lumière blanche, il résolut tout ce qui lui venait à l’esprit jusqu’à atteindre des abstractions telles que la matière et le mouvement, l’être et la forme ; et par ce procédé, il atteignit un état d’esprit capable de saisir ces idées sublimes qui unissent même ces antinomies. C’était tout.

Douglas, toujours en contact magique avec cet « observateur », pouvait sentir qu’il était lentement digéré, pour ainsi dire, par un autre magicien. Ceci est -incidemment- le sort final de tous les magiciens noirs, d’être petit à petit mis en charpie, par le manque d’amour qui grandit en se donnant à l’aimé, encore et encore, jusqu’à ce que son « moi » soit continu avec l’existence elle-même. « Celui qui aime sa vie la perdra » est la phrase scripturaire correspondante.

Douglas, qui pouvait alors se sauver par sa résignation, était trop aveugle pour voir la voie – une cécité résultant d’actes répétés dont l’essence était le déni de l’unité de lui-même avec le reste de l’univers. Et il se battit désespérément contre l’assimilation de son « observateur ». « C’est à moi, pas à vous ! », enrageait-il. À l’affirmation constante et continue de la véritable unité dans toute la diversité que faisait Simon Iff, il opposait l’affirmation de la dualité. Le résultat était que tout son esprit était enflammé par la passion des choses contrastées, jouant les forces les unes contre les autres. Quand il s’agissait de décisions pratiques, il divisait ses forces et créait délibérément la jalousie et la haine où la coopération et la loyauté auraient dû être la première et la dernière considération.

Pourtant, Simon Iff n’avait utilisé aucun sort à part l’Amour.

Traduction Audrey Muller, 2018 – Tous droits réservés