D’UN DÎNER, AVEC LA DISCUSSION DE PLUSIEURS INVITÉS
SIMON IFF et Cyril Grey s’étaient glissés hors de la salle de réception pour se vêtir selon leur dignité dans l’Ordre.
Ils revinrent quelques instants plus tard. Le vieil homme était vêtu d’une robe de la même forme que celle de Sœur Cybèle – toutes les robes de l’Ordre étaient ainsi façonnées – mais en soie noire, et sur la poitrine était brodé un œil d’or dans un triangle rayonnant.
Cyril Grey était vêtu d’une robe semblable, mais l’œil était enfermé dans une étoile à six branches, et des épées avec des lames ondulantes sortaient de chaque angle rentrant.
Leur retour interrompit la conversation, et sœur Cybèle ouvrit la voie, avec Lisa au bras, dans le hall.
Là, la merveille de la maison commença. Le mur faisant face à la porte d’entrée était masqué par un groupe de statues de taille héroïque.
C’était un bronze qui représentait Mercure menant Hercule à Hadès. Au fond, Charon dans sa barque, une main sur sa rame, l’autre tendue pour recevoir son obole.
Sœur Cybèle attendit que tous les invités soient dans le bateau. Puis elle fit semblant de placer la pièce dans la main de Charon.
En réalité, elle toucha un ressort. Le mur se sépara ; le bateau se déplaça lentement à travers ; il prit sa place à côté d’un autre quai.
Ils étaient dans une vaste salle ; et Lisa réalisa que la colline derrière la maison devait être profondément creusée. Cette salle était haute, étroite et longue. Au milieu, une table circulaire attendait les invités. Derrière chaque chaise se tenait l’un des Probationers de l’Ordre en robe blanche, sur la poitrine duquel était brodé un Pentagramme écarlate. Le cou, les manches et l’ourlet étaient garnis d’or. Au-delà de cette table, où plusieurs autres membres, déjà vêtus de robes multicolores, étaient déjà assis, quoiqu’ils se levèrent pour saluer brièvement et en silence les nouveaux venus, il y avait une dalle triangulaire de marbre noir, aux arrêtes tronquées par commodité. Autour, il y avait six sièges en ébène incrustée de disques d’argent.
Sœur Cybèle quitta les autres pour prendre place de présidente de la table circulaire. Simon Iff lui-même était assis à la tête du triangle, plaçant Cyril Grey et le Mahathera Phang aux autres coins. Lord Antony Bowling était à sa gauche, Lisa à sa droite ; Morningside lui faisait face depuis la base.
Quand tout le monde fut assis, sœur Cybèle se leva, sonna une cloche placée près de sa main et dit :
« Fais ce que tu voudras sera le tout de la Loi. Ô Maître du Temple, quelle est ta volonté ? »
Simon Iff se leva à son tour. « Ma volonté est de manger et de boire », dit-il.
« Pour quelle raison devrais-tu manger et boire ? »
« Pour renforcer mon corps. »
« Pour quelle raison est-ce ta volonté de renforcer ton corps ? »
« Afin que cela puisse m’aider dans l’accomplissement du Grand Œuvre. »
A ce mot, tous se levèrent, et chantèrent solennellement en chœur : « Alors, qu’il en soit ainsi ! »
« L’amour est la loi, l’amour sous la volonté », dit doucement sœur Cybèle, et elle s’assit.
« Bien sûr, c’est une superstition des plus absurdes », fit remarquer Morningside à Simon Iff, « de penser que la nourriture soutient le corps. C’est le sommeil qui fait ça. La nourriture renouvelle simplement les tissus. »
« Je suis tout à fait d’accord », dit Cyril avant qu’Iff puisse répondre, « et je vais renouveler mes tissus à hauteur d’une douzaine de ces excellentes crevettes de Cherbourg, pour commencer ! »
« Mon cher », dit Lord Antony, « les crevettes sont bien meilleures à la fin d’un dîner – comme vous le sauriez si vous aviez été en Arménie ces derniers temps. »
Quand Morningside disait quelque chose d’absurde, cela signifiait simplement qu’il diffusait ses engouements ; quand Lord Antony le faisait, cela signifiait une histoire. Et toutes ses histoires étaient bonnes. Simon Iff sauta sur l’occasion. Il se retourna immédiatement et demanda à ce qu’il raconte.
« C’est plutôt long », annonça Bowling, d’un air un peu douteux. « Mais c’est très, très beau. »
Des citations inconnues donnaient une curieuse fascination à son style narratif. Les gens étaient intéressés par le tour psychologique impliqué. Ils reconnaissaient, mais ne pouvaient pas placer la remarque, et ils étaient agités par la magie de l’association, tout comme on s’intéresse à un étranger qui rappelle quelqu’un – quelqu’un à qui on ne peut pas vraiment penser.
« A la fin d’une sombre après-midi », poursuivit Lord Antony, « Un chasseur d’aspect sinistre aurait pu être vu approcher du hameau de Sitkab en Arménie. C’était moi – ou j’aurais peine à trouver utile de raconter l’histoire. Pourquoi vous détenir avec un moindre souverain ? J’étais à la poursuite de la bête sauvage la plus folle, insaisissable et dangereuse, à l’exception de la femme,» (Il sourit à Lisa si délicieusement qu’elle ne pouvait que le prendre comme un compliment) « qui infeste ce globe. Ai-je besoin de préciser que je parle du Poltergeist ? »
« Vous devez faire plus », Lisa en riant. « Vous devez me dire ce que mon rival est ! »
« Un Poltergeist est une variété de revenant distingué par son habitude ludique de jeter des meubles, et aussi de faire des blagues de l’ordre du clown-dans-la-pantomime. Le spécimen particulier dont la peau – si elles ont des peaux – que j’avais hâte d’ajouter à ma collection de tasses à thé théosophiques, de cigarettes spirituelles et autres articles de vertu était un artiste au raffinement singulier, car il ne jouait que d’un seul instrument, comme une règle ; mais de cet instrument il avait acquis la plus admirable maîtrise. C’était un balai ordinaire. Ce spectre génial – ou plutôt non-spectre, rarement vu, seulement entendu, conditions précisément opposées, je vous prie de noter, à celles que nous exigeons des petits garçons – ce Poltergeist, alors, était censé être l’invité de l’avocat local dans le hameau précité. Cela l’avait énervé considérablement pendant deux ans ; car tout en prétendant, par l’intermédiaire d’un excellent médium de la localité, être l’esprit d’un Adepte décédé, il lui avait simplement jeté des manches à balai alors qu’il accomplissait sa tâche quotidienne de méfaits entre les citoyens de ce coin de terre déplorablement pacifique, ou détournant des fonds qui lui étaient confiés pour investissement. C’était un avocat honnête, autant que faire se peut – j’avais été appelé au barreau moi-même à l’époque où je ne travaillais pas – et il était offensé par l’ingérence, d’autant plus qu’aucun habeas balai ne semblait atténuer la nuisance.
L’aimable créature, cependant, avait récemment pris pitié de son hôte, et avait cherché à obtenir sa gratitude en le sauvant de la mort. Un jour, alors que l’avocat était sur le point de traverser le pont du village, il avait vu le balai tomber du ciel et se tenir droit, exactement sur son passage. Son cheval avait rué ; un instant après, le pont fut emporté par le torrent. (C’est vraiment un excellent bortsch, Mr. Iff.) Eh bien, j’avais été appelé pour enquêter sur cette affaire, et j’étais là, installé dans la maison de mon frère brigand. Les résultats de mon séjour de six semaines ou plus n’étaient pas concluants. J’étais convaincu de la croyance entière de l’homme dans son histoire, et le manche à balai bougeait certainement de diverses manières dont je ne pouvais pas rendre compte ; mais je n’étais pas assez chanceux pour observer n’importe quoi de la sorte quand il n’était pas quelque part à l’horizon. Et il est inévitable que l’on s’attaque aux théories des limites de la fraude autant que cela est humainement possible – surtout lorsqu’il s’agit d’un avocat ou d’un balai. Donc je suis rentré des lieux des tribus jusqu’à la Babylone moderne, où j’ai demeuré pendant une saison. Peu de temps après, j’ai reçu une carte annonçant le mariage de mon ami avec l’héritière de Sitkab et, un an plus tard, en réponse à de gentilles questions, il eut l’honneur d’annoncer que les manifestations du Poltergeist avaient totalement cessé depuis le mariage. Certains de ces Adeptes sont évidemment effrayés sur la question du sexe, comme nous le savons tous. Tombez une heure dans les austérités d’un Galahad, et un cigare se précipitera dans votre soupe, ou bien vous serez interrompu au billard par l’arrivée d’un message urgent du Tibet, écrit sur un papier à lettres du genre que vous achetez à Walham Green si vous êtes une vraie dame, disant que la Sagesse secrète est au-delà du Voile, ou une autre remarque évidente de l’Illumination Suprême trop urgente pour utiliser le service postal classique.
Non, l’histoire ne s’arrête pas là ; en fait, ce qui précède n’a été que le prélude à un thème plus puissant. Une fois de plus, une année s’est écoulée. Par un singulier, et, compte tenu de ce qui s’est passé plus tard, je pense plus qu’un inquiétant concours de circonstances, le processus prit exactement douze mois calendaires.
Je reçus une autre lettre de l’avocat. Il ne dit pas si la lune de l’amour s’était éteinte ou non; mais il annonça la reprise des phénomènes, avec des ajouts et des améliorations. Un point encourageant était que, dans la série précédente, rien ne s’était passé à l’extérieur de sa maison, sauf dans le cas de l’incident du pont ; à présent le balai était omniprésent, et le suivait presque comme l’agneau de Marie. Sa femme aussi avait développé les pouvoirs les plus surprenants de la médiumnité et recevait des messages de Herr P. Geist, qui paraissaient d’une importance inhabituelle. Un nouveau monde était ouvert à nos yeux. Je me suis toujours imaginé comme un Columbus ; et, comme je venais de gagner une somme d’argent considérable par une heureuse spéculation sur le pétrole, je n’hésitai pas à faire une dépense pour un télégramme. Je me suis toujours imaginé comme un César, et j’ai essayé d’imiter sa concision. ‘Venez passer l’hiver’ était l’expression employée. Une semaine plus tard, ces âmes simples et pieuses, échappant aux périls du voyage à Constantinople, étaient sûrement cloîtrées, si je puis employer le terme, dans l’Orient Express. Ils avaient été extirpés de Paris par un ami que j’avais délibérément envoyé à leur rencontre ; et le lendemain, mon cœur fut réjoui par la réalisation de mes rêves – la présence physique réelle de mes proches dans mes salles ancestrales de Curzon Street – celles que j’avais louées deux ans plus tôt à Barney Isaacs ; ou plutôt à ses héritiers, car le pauvre homme avait été pendu, comme vous vous en souvenez.
Eh bien, les conclusions de la science semblent indiquer qu’un Poltergeist de la meilleure catégorie prend une quinzaine de jours ou plus pour s’habituer à un nouveau domicile ; de ce fait les savants ont écrit de nombreux traités pour suggérer qu’il pouvait être de la tribu des chats ; bien que d’autres aient soutenu de façon très plausible que son attachement touchant à cet avocat montrait sa nature à se conformer plutôt à celle du chien.
Pour moi, il sembla possible que la lumière ne soit pas complètement absente de l’une ou l’autre des parties à la discussion ; je mis en avant la théorie selon laquelle le Poltergeist, de son nom allemand, est d’une nature ambiguë, comme les animaux d’Australie ; et j’osais compter sur l’analogie entre le balai employé dans ce cas et le bâton des aborigènes de ce continent. Quoi qu’il en soit, l’ami Poltergeist commença à répéter exactement quatorze jours après l’arrivée de l’avocat et de sa femme, et fut assez gentil pour interpréter un récital complet – un Scherzo en La bémol , ou plus exactement en La dure – trois jours plus tard. Je n’ai jamais vraiment apprécié le vase de Sèvres offert à cette occasion aux dieux infernaux.
Les pouvoirs médiumniques de la dame commencèrent à se développer en même temps. L’esprit avait imaginé une ingénieuse méthode de communication connue de la science sous le nom de Planchette. Cet instrument vous est probablement familier ; c’est une manière déplaisante pour écrire, mais qui ne présente par ailleurs aucune particularité marquée. Maintenant que nous avons accepté l’ ‘écriture automatique’ comme automatique, il n’y a vraiment aucune raison pour que les médiums prétendent qu’une planchette n’est pas sous contrôle.
Cette planchette nous donna beaucoup d’informations inestimables sur les habitudes, le mode de vie, les plaisirs sociaux et autres, des diverses parties décédées ; et en bonus gratuit, un conseil qui, suivi, aurait sans doute tendance à faire de moi un homme encore meilleur. C’est cependant avec regret que je me trouve obligé d’avouer que la vérité scientifique est un objet encore plus cher à mon cœur que la beauté morale, et que pour le moment j’étais entièrement absorbé par le désir de vérifier les faits les plus récents sur le Poltergeist, ceux-ci donnaient beaucoup de poids à la théorie selon laquelle c’était une sorte de chien. Sous l’intuition inspiratrice de sa charmante maîtresse, il avait développé des qualités que nous associons à l’épagneul ou au retriever.
Même en Arménie, quand il était las de ses solos sur le manche à balai, il avait l’habitude de réjouir et d’instruire l’humanité en mettant de petits objets dans des endroits où ils ne devraient pas se trouver. Je trouvais parfois mes chaussettes bien serrées dans les poches de mon pantalon, ou mon rasoir sur un miroir, quand je me rendais compte le matin que le pot de chambre contenait une météorite et que le Chasseur de l’Orient avait attrapé la Tourelle du Sultan dans un collet. Mais dans la seconde série de phénomènes, l’animal fidèle et intelligent faisait bien plus que cela, apportant dans la maison divers objets venus de loin. Il était manifestement apprécié dans l’Au-delà que la portée d’un Poltergeist dépasse ses possibilités/ sa compréhension.
Un jour du merveilleux mois de mai avec toutes ses fleurs épanouies, la planchette produisit un message extrêmement mystérieux. Pour autant que nous pouvions le comprendre, il apportait plus de preuves de sa présence. ‘Preuve’ était l’un des mots utilisés, je m’en souviens ; oui, je m’en souviens très distinctement. Et le message s’est terminé, avec une transition soudaine : ‘Attention à la chasse ! Il ne peut guère y avoir plus d’injonction superficielle me concernant !’
Je dois maintenant décrire ma salle à manger. Elle est comme toute pièce du genre, j’ose dire ; le fait est qu’il y a une grande table au-dessus de laquelle est suspendue un groupe de lampes électriques, un abat-jour les couvrant d’en haut. Le haut de cet abat-jour est à peu près au niveau des yeux d’un homme assez grand, debout. Je peux voir clairement le bord de la table sans forcer.
Eh bien, nous sommes allés dîner, et le Poltergeist était exceptionnellement actif tout au long du repas. La médium était extrêmement bouleversée par son insistance sur l’injonction mystérieuse de chercher du gibier. Ce n’est qu’au dessert que le problème fut résolu. La médium cria soudainement, ‘Oh ! il me pince le cou !’ – et une seconde plus tard – une foudre dans un ciel clair – une grande caille tomba de l’empyrée sur mon humble acajou.
J’aurais seulement souhaité que le Contre-amiral Moore, Sir Oliver Lodge, le Colonel Olcott, Sir Alfred Turner, AP Sinnett et Sir Arthur Conan Doyle eussent été présents à cette occasion sublime. Il n’y aurait pas eu de voix dissidente pour dire que ce n’était pas ‘probant’ – sauf, peut-être, ce qui est négligeable, la mienne. Peu de chose, mais la mienne !
Je me demande si vous avez déjà réfléchi sur le halo d’excitation et de romance qui doit dorloter la vie des membres de la Compagnie adoratrice des Volaillers. Ce sont les vrais sportifs de notre temps ; ils ont pour but de mettre la dinde dans sa tanière, d’attaquer le faisan seigneurial, de se battre contre le tétras, d’arracher l’œuf du pluvier de son nid solitaire sur les landes, d’oser mille morts dans leur sinistre héroïsme, de leurs serments pour nous fournir un moineau, un chat ou un lapin. Pensez aussi à leurs relations avec les mystérieux bazars de Bagdad ; leurs trafics avec des orientaux rusés, le comptage de l’or secret au clair de lune à l’ombre des mosquées ; pensez à Mason, alors qu’il déchiffre douloureusement le télégramme de Fortnum, brûle le message, et, armé d’un poignard et d’un sac de rubis bruts, plonge du Ghezireh Palace Hôtel à son rendez-vous avec Achmet Abdullah au marché aux poissons, où, sans le moindre regard, le marché hideux est conclu, et, remettant ses rubis, Mason sort de cette affreuse ruelle, serrant sous sa gabardine – une caille.
Vous n’aviez pas pensé à de telles choses ? Moi non plus, jusqu’à présent. Mais je savais que les cailles étaient des produits réfrigérés de l’Orient brûlant, et je savais que le nombre de volailles dans mon voisinage était limité. Tôt le lendemain matin, je rendis visite tour à tour à ces commerçants respectables, dont le troisième se souvint de la vente d’une caille à une dame la veille. La caille et la dame répondaient aux descriptions que j’avais en tête.
Mes invités avaient l’habitude de sortir l’après-midi, parfois seuls, parfois ensemble, parfois avec l’un ou l’autre des membres de ma famille.
Ce jour-là, je suppliai la médium de m’accorder l’honneur de l’escorter. Elle était d’accord avec son amabilité caractéristique ; et, une fois dans la rue, je la suppliai, comme un enfant, de me raconter une histoire. Je lui dis que j’étais sûr qu’elle avait une belle histoire à me raconter. Mais non ; ce n’était apparemment pas le cas.
Au cours de notre déambulation, nous arrivâmes – sûrement conduits par quelque mystérieuse Providence – chez l’éleveur de volailles même que j’avais vu le matin. Je la conduisis à cet homme digne. ‘Oui, monseigneur’, répondit-il à ma question mondaine avec une complaisance affable, ‘c’est la dame à qui j’ai vendu la caille’. Elle contredit la déclaration brusquement ; elle n’avait jamais été dans ce magasin dans sa vie. Nous poursuivîmes notre marche. ‘Racontez-moi’, dis-je, ‘exactement ce que vous avez fait quand vous êtes sortie hier’. ‘Rien du tout’, répondit-elle. ‘Je suis allée m’asseoir un peu au parc. Peu de temps après, ma sœur est venue s’asseoir avec moi et nous avons parlé un peu. Puis elle s’en est allée et est revenue environ une demi-heure plus tard. Nous en avons parlé un peu plus, puis je suis rentrée à Curzon Street’.
A notre retour, j’interrogeais son mari. ‘Sa sœur !’ s’exclama-t-il, ‘elle n’a jamais eu de sœur !’
Le mystère avait été éclairci. C’était un cas de Double Personnalité ! Il restait cependant encore un petit point. Comment la caille fantôme était-elle arrivée sur la table ? Elle était tombée tout droit, du moins il nous semblait ; et le majordome nous avait dit qu’il pouvait difficilement croire qu’une caille puisse avoir été cachée sur l’abat-jour ; il l’aurait remarqué, pensait-t-il, en mettant la table.
Les expériences continuèrent. Quelque temps après, Frère Poltergeist se permit quelques allusions à la pêche – du meilleur goût possible – et je pris mes précautions en conséquence. Avant le dîner, je glissai en bas et fouillai la salle à manger. Hélas ! Quelles tricheries peuvent tromper les plus vertueux d’entre nous ? La Sœur Seconde Personnalité de cette médium l’avait encore trahie d’une façon des plus injustifiables ! Une douzaine de crevettes de la meilleure qualité avaient été placées en une excellente symétrie dans l’abat-jour.
Une référence hâtive au dictionnaire non encore publié par la Société pour la Recherche Psychique m’indiqua que ce genre de chose était un ‘phénomène préparé’.
Maintenant, si vous préparez un phénomène, vous pouvez le préparer correctement ; et j’ai assisté – vous apprendrez bientôt comment – aussi bien à la décence et à l’esthétique.
Le dîner était servi ; le Poltergeist fournit la conversation. Jamais auparavant il n’avait été si léger, si aimable, si désireux de nous assurer de notre avenir à Summerland ; mais toujours et de temps en temps il touchait la corde sensible, parlait obscurément de ‘preuve’, et de proie ! (Je vous supplie tous de constater que je ne me suis pas dégradé par le jeu de mots évident). Le dessert arriva. Et maintenant, le Poltergeist était imminent. L’avocat pensa à le toucher et à le retenir ; il vit des signes de lui partout dans la pièce ; il courait après lui, comme un garçon avec un filet à papillons. Mais je n’ai pas tenu compte de tout cela ; je regardais le visage de la dame.
Le professeur Freud expliquerait peut-être mon comportement comme une ‘pré-sexualité psycho-sexuelle infantile’ ; mais peu importe : je regardais son visage.
L’avocat, comme poursuivant Priam – utilisé par Virgile dans le sens de prolonger le suspense -, suivait de près le Poltergeist – ‘confiture, confiture’ – et finit par faire une prise dans le vide. Il contrebalança ; j’ai dû toucher l’abat-jour, je suppose, car une gerbe de crevettes tomba sur nous comme la douce pluie du ciel, bénissant à la fois celui qui donne et celui qui prend.
Et oh ! Ces crevettes fantômes étaient belles sur la nappe ; chacune était liée d’un ruban bleu, un ruban bleu, comme pour attacher leurs jolis cheveux roux. Je n’avais pas bougé mon regard du visage de cette gentille dame ; et je suis désolé de conclure cette abstraite et brève chronique de la crevette en disant que je ne peux pas jurer qu’elle ait trahi quelque connaissance coupable ! »
Lord Antony s’arrêta ; et soulevant son verre de liqueur, le vida soudainement.
Sœur Cybèle se leva et s’inclina devant Simon Iff.
Mais la voix de Cyril Grey s’éleva vivement : « Mieux vaut un dîner d’herbes où l’amour est présent, qu’une crevette décrochée, et le mécontentement afférent ! »
Le Maître fronça les sourcils. « Messieurs ! » dit-il, « C’est la coutume de cette maison que ses invités paient pour leur divertissement. Lord Antony Bowling l’a fait par son histoire charmante ; M. Morningside par sa brillante théorie sur la fonction de la nourriture ; et le Mahathera Phang par son silence. Je peux dire que je n’en attendais pas moins, et rien de différent, de chacun de vous ; nous sommes trop payés ; et la dette de gratitude nous appartient. »
Morningside était content. il pensa que le compliment était sincère. Bowling comprit quelque chose de l’âme qui lui avait échappé jusque-là ; le Mahathera Phang resta dans sa superbe indifférence.
Lisa s’adressa au Maître : « J’ai peur de ne pas avoir payé ; et j’ai eu un dîner parfaitement merveilleux ! »
Simon Iff répondit avec poids : « Ma chère demoiselle, vous n’êtes pas une invitée – vous êtes une candidate. »
Soudainement consciente d’elle-même, elle blanchit et se raidit dans sa chaise.
Simon Iff fit ses adieux aux trois invités ; Cyril et Sœur Cybèle les conduisirent au bateau et leur souhaitèrent bonne route. Les autres frères de l’Ordre se dispersèrent, les uns après les autres.
A ce moment Simon, Cyril, Cybèle et Lisa étaient seuls ensemble. Le vieil homme les mena à une cellule cachée dans le mur. Là, ils prirent des sièges.
Lisa la Giuffria comprit que le moment critique de sa vie était imminent.
Traduction Audrey Muller, 2018 – Tous droits réservés